EPISODE 3 : Respirer encore

Jeudi 21 mai 2020 – 6h30 – Parking de l’hôpital Sainte Elizabeth.

Oublier son portable pour une accro à Instagram comme moi, c’est un peu comme… Je n’en sais rien en fait. C’est bizarre, inquiétant et un peu libérateur aussi.

Je déroule mentalement la liste de tout ce que j’aurais pu faire, là, sur ce parking, si simplement j’avais eu mon téléphone en main. J’adore les to-do list, ou plutôt barrer ce qu’il y a dessus. Être dans l’action et me voir avancer, comme un train lancé à toute vitesse, traçant sa voie sans s’arrêter sur le paysage.

Mais un léger mouvement, la sensation d’un doux glissement me fait sourire. Je pose les mains sur mon ventre arrondi, je sens mon petit garçon s’installer confortablement au creux de moi. Alors je me pelotonne dans ce siège conducteur qui devient trop étroit, et j’ouvre les yeux sur ce petit matin ensoleillé.

6h30, à l’aurore d’un jour férié, je découvre que mystérieusement il y a beaucoup de gens dehors ! Promenant leur chien, au téléphone, déambulant tranquillement de retour d’une longue nuit, ils passent sous mes yeux émerveillés. Regarder les autres marcher dans leur vie me fascine, je me demande où ils vont, ce qu’ils font, qui les attend. Les milliers d’images et de vidéos que je vois chaque jour sont remplacés par cette scène paisible, quotidienne, parfaite dans sa simplicité.

Moi, pour une fois, je n’ai rien à faire. Juste à attendre que Gauthier me rejoigne, apaisé par le calmant qu’il aura reçu. C’est un instant suspendu, de ceux que je vis rarement. Me voilà obligée de m’arrêter, et je découvre que j’aime ce petit moment. J’ai faim, le soleil est tendre aujourd’hui. J’ai envie de profiter de ce jour férié. On irait bien prendre un petit déjeuner dès qu’il revient !

Il ne revient pas. Deux heures plus tard, je suis toujours sur cette place de parking. À la réception de l’hôpital, on m’informe que le médecin chef descend pour me parler.

Il se dirige vers moi et parle très vite :

–  Bonjour Madame, votre mari essaie de vous joindre, mais sans succès. Le plus simple est que vous retourniez chez vous, il pourra alors vous appeler sur votre portable. Vous pourrez venir le chercher cet après-midi. Ça va pour vous ?

Un kilomètre à peine me sépare de l’appart, dans quelques minutes je retrouverai mon portable et j’entendrai la voix de mon mari.

– Oui, bien sûr, aucun souci, j’y suis dans cinq minutes. Merci !

Le médecin chef savait déjà. Gauthier aussi. Moi, je respirais encore.

Pendant que je regardais les gens passer, que mon fils dormait au creux de mon ventre apaisé, les médecins annonçaient à mon mari qu’il souffrait d’une leucémie agressive. 

Quand son cerveau a enregistré l’information, quand son cœur a raté un battement, quand sa respiration s’est accélérée, quand la terreur a fermé ses yeux, il était seul.


Octobre 2017 – Les bureaux Orta

Je me pose mille questions : ai-je fait les bons choix ? Ai-je bien fait de quitter mon emploi de salariée ? Comment cela se fait-il que les ventes ne décollent pas ?

À toutes ces questions, je suis la seule à avoir les réponses.

Être entrepreneuse, c’est aussi se sentir seule alors qu’on est si bien entourée. C’est parfois vouloir que quelqu’un d’autre prenne toutes les décisions. Ce sont également des énormes coups de fatigue quand la pression est trop intense.

Prendre toutes les décisions, de la couleur d’un bouton au prochain gros investissement, c’est totalement épuisant. Et comme j’ai tendance (légèrement, je vous assure !) à vouloir tout contrôler, cela me prend énormément de temps et d’énergie.

Mais l’avantage, ce qui me porte, c’est que ce métier, je l’ai choisi. J’en ai choisi tous les aspects, tous les challenges, toutes les victoires. Et être totalement indépendante, libre de ses choix et de ses échecs est une sensation qui n’a pas de prix. Enfin si, ça se compte en heures de sommeil !

Je décide de m’accrocher, de persévérer, je suis certaine d’être sur la bonne voie. Des collections de vêtements intemporels, d’excellente qualité et produits en Europe, tous les critères sont réunis pour plaire.

Il n’y a plus qu’à trouver les personnes qui vont aimer ces vêtements !

Ma présence continue et ma persistance sur Instagram font que la communauté Orta s’agrandit rapidement.

Et puis soudain, miracle de Noël avant l’heure ! Plusieurs influenceuses marquent de l’intérêt pour la collection, commandent et partagent leurs tenues sur Instagram.

L’effet se fait immédiatement ressentir, les ventes dépassent la centaine.

Cela peut sembler peu, mais chaque vente me réjouit, chacune d’entre elles me fait progresser en termes de logistique et d’optimisation des processus.

C’est fou de se dire qu’il suffit d’un clic, d’un partage, d’une story, pour changer la destinée d’une entreprise comme la mienne. Le travail et l’implication d’une influenceuse viennent de modifier la courbe de mon entreprise.

Consciente du fait que chaque abonnée à notre compte Instagram peut avoir le potentiel de faire décoller une vente, j’accorde un soin particulier à notre communication. Tout en gardant les valeurs de transparence et d’honnêteté qui me sont chères.

Et puis au-delà de cet aspect stratégique, je me sens réellement connectée à la communauté Instagram qui suit Orta, je lui demande souvent son avis, et j’en tiens réellement compte. Je passe des heures à faire défiler mon fil d’actualité, pour m’imprégner de ce qui plaît. Je décortique les magazines de mode, je puise mon inspiration auprès des silhouettes que je vois en rue.

Je m’imprègne de toutes ces couleurs, de ces tissus, de ces modèles, pour ensuite partager ma vision auprès de notre modéliste. Qui reste parfois très perplexe devant mes explications décousues !

Ces premières collections écoutent les tendances, les souhaits de notre communauté, ce que portent les influenceuses. Mon inspiration vient de l’extérieur, je ne me sens pas encore assez en confiance pour faire uniquement ce que j’aime.

J’aime mes clientes, sincèrement. Les imaginer porter les vêtements Orta me remplit d’une fierté extraordinaire. Leur confiance me transporte à chaque fois, chaque vêtement acheté me semble être une si belle déclaration.

Décrypter ce que les femmes aimeront porter, inventer de nouveaux modèles chaque mois, anticiper les prochaines envies sont autant de challenges que j’adore. J’ai peur de me tromper à chaque instant, mais je fonce malgré tout tête baissée.

Je m’astreints à une discipline de fer : je poste chaque jour des photos de nos collections, des coulisses de production, et je contacte sans relâche les personnalités qui comptent dans le monde de la mode Instagram.

Au bout de ces premières semaines, je tire le constat suivant : persévérance (obstination ?), discipline et authenticité sont les clés de mon avancée en tant qu’entrepreneuse. Je ne prétends pas qu’il s’agisse d’une recette universelle. C’est simplement la mienne, et elle commence à porter ses fruits.


N’hésitez pas à partager !

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