EPISODE 2 : Inspirer avant l’apnée

Jeudi 21 mai 2020 – 6h10 – Salle des urgences de Sainte Elizabeth

Nous voilà seuls au monde dans cette salle d’attente. Apparemment, six heures du matin, c’est le bon créneau.

Je me dirige vers le distributeur. Un coca à 6 heures du matin, parfait pour se réveiller. Mais aussi pour m’occuper, pour faire quelque chose. Parce qu’entendre Gauthier crier de douleur, ça me déchire le coeur. Littéralement. Un homme de 36 ans qui hurle, c’est impressionnant. C’est terrifiant aussi. L’infirmière partage mon avis car elle appelle directement un médecin.

On est au mois de mai 2020, en pleine pandémie de coronavirus.

– « Madame, malheureusement, vous ne pouvez pas l’accompagner, compte tenu des mesures sanitaires relatives au Coronavirus. Mais ne vous inquiétez pas, attendez votre mari dans votre voiture, cela devrait aller relativement vite ! »

OK, je comprends tout à fait. Je me sens soulagée, il est pris en charge, tout va rentrer dans l’ordre.

Nos yeux se croisent, je lis en lui à livre ouvert : il me rassure, me dit que ça va aller, c’est juste l’affaire de quelques minutes. Je lui souris tendrement, lui envoie un baiser. Il rejoint le médecin de l’autre côté des portes, qui se referment doucement.

Tout a été si vite.

Six heures trente, je suis sur le parking de Sainte Elizabeth, dans ma voiture. Je me rends compte que j’ai oublié mon portable à la maison. Je suis enceinte de 8 mois.

Mon monde est sur le point de s’écrouler.


Lundi 25 septembre 2017 – 09h50 – Bureaux d’Orta

– Ca va s’écrouler, Marion !

Et de fait, la pile de vêtements que je viens de ranger s’effondre lourdement.

– Aaaaaah j’en ai marre ! Il n’y a rien qui tient, ces étagères sont super mal faites, on n’a vraiment pas été malins sur ce coup-là, c’est n’importe quoi !

Ok, je mélange tout et je m’énerve un peu vite. Mais ces piles de vêtements invendus me narguent, se moquent de mon projet, me ramènent à cette peur viscérale chez moi : et si je m’étais trompée ? Et si Orta ne tenait pas la route ?

J’ai pourtant le sentiment d’avoir pris la bonne direction: créer nos propres vêtements, selon nos valeurs, avec nos idées, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. On s’est limité à 5 pièces, dont deux étaient déclinées en deux couleurs, mais ça compte quand même! On a donc été plus que raisonnables. Pour commencer, on a choisi des basiques: deux t-shirts et une chemise.

Pour les créer, je me suis inspirée de ce que j’aimais porter, de ce qui me semblait beau et pratique, élégant. N’y connaissant rien en termes techniques, mes premiers croquis ressemblaient à … une liste de bullet points. Je suis totalement incapable de dessiner, je vous le promets! Même le serpent du petit prince est plus explicite que mes croquis. Du coup, moi et les bullet points, on a beaucoup fait rire notre modéliste!

Mais on y est arrivés ! Le lancement s’est super bien passé.

Mais aucune vente. Enfin si, vingt-neuf exactement, sur un mois. Même pas de quoi financer le loyer de nos bureaux.

Ne pas se décourager, surtout pas. Même pas quand mon développer informatique m’appelle pour me demander s’il arrête sa mission, car il est certain que nous stoppons l’aventure.

Je sais que suis capable de rebondir, et qu’à chaque problème je peux trouver une solution. Ça, c’est ma spécialité ! Se retrousser les manches et y aller, prendre chaque obstacle un par un, et croyez-moi, il y en a eu quelques-uns!

Plan B: réunir les vêtements d’une aventure précédente (on en parlera sûrement un jour) et ces nouvelles créations dans une boutique pop up.

Plan C: comme il n’y a que très peu de monde, y organiser des ateliers. Parce que rentrer dans un magasin où vous êtes la seule cliente, vous en conviendrez avec moi, crée parfois un certain malaise. Donc il nous fallait du monde dans notre boutique. J’ai laissé parler ma créativité (et croyez-moi, elle parte souvent en vrille) : on a commencé par des cosmétiques naturels, des ateliers de maquillage, de création diverse, au rythme de deux par jour. De cette façon l’endroit semblait beaucoup plus vivant, plus accessible, et puis toutes ces participantes pouvaient également être de potentielles clientes.

Dans ces journées folles m’accompagne Nuria, notre stagiaire. Elle est là depuis le premier jour, et heureusement qu’elle est à mes côtés! Ne pas être seule dans cette aventure me fait un bien fou, je suis responsable de quelqu’un et cela me donne des ailes pour avancer.

Je garde en tête que chaque obstacle a une porte de sortie, qu’il ne faut pas se braquer sur le problème mais bien se focaliser sur les solutions possibles. Qu’il faut être capable de rebondir rapidement, d’abandonner les mauvaises idées pour se concentrer sur les bonnes.

Alors je m’acharne et je persiste, je deviens une pro en Instagram, j’en décortique les codes et les bonnes pratiques, je m’inspire de celles qui ont réussi, je ne lâche rien. On dira ce que l’on veut, mais l’obstination ça a du bon parfois!

J’y passe mes journées et mes soirées (parfois les nuits), les weekends deviennent un concept inexistant tandis que les vacances sont aléatoires, mais je ne me laisse pas le choix. Je vais y arriver.

Gauthier me soutient totalement, m’aide à rationaliser et tempère mes excès. L’avoir auprès de moi contrebalance cette adrénaline qui pourrait me faire commettre des erreurs. Sans cesse il m’interroge sur l’utilité de ce que je fais, sur la façon dont cela peut être optimisé ou délégué. Avec amour, il m’oblige à remettre en question mes décisions, afin qu’elles me correspondent totalement.

Ce qui me permet de tenir le coup est pour moi une notion essentielle: je fête chaque petite victoire. Qu’il s’agisse d’une vente ou de quelques dizaines d’abonnés en plus sur les réseaux sociaux, je m’extasie comme une enfant. Chacun de ces petits évènements me remet le pied à l’étrier, me conforte dans la direction que j’ai choisie. Je me suis toujours réjouie de la moindre petite chose, d’aussi loin que je me souvienne. Mon parcours totalement atypique, de Londres à New York, des caisses de supermarchés aux kebabs de luxe (et ça c’est encore une autre histoire!) m’a appris que chaque petit pas est important, qu’il nous rapproche du but et doit être célébré comme tel.

De ce départ raté, j’en ai tiré une leçon essentielle : toujours s’écouter. Faire confiance à son instinct, croire en ce que l’on sait et admettre ce que l’on ne sait pas. Écouter cette voix qui nous souffle la direction, parfois de façon si ténue qu’il faut tendre l’oreille. Ne pas la laisser mourir sous le vacarme des conseils et des leçons des défaitistes et autres oiseaux de mauvais augure.

Je vous donne rendez-vous le 10 janvier pour découvrir l’épisode 3. ♡

N’hésitez pas à partager !

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