EPISODE 10 : La tête sous l’eau et le cœur triomphant.

Octobre 2020 – Notre appartement

Nous avons su dès les premiers jours qu’une greffe de moelle osseuse serait nécessaire. Sans greffe, Gauthier aurait été confronté à 50% de risques supplémentaires de faire une rechute à la suite de son traitement.

Nous avons donc très tôt pris la décision de passer par cette étape douloureuse, afin de briser cette épée de Damoclès qui aurait empoisonné notre futur.

Néanmoins, nous devons tenir compte des statistiques : les chances de trouver un donneur totalement compatible sont faibles. Mais Gauthier et moi avons décidé de déjouer toutes les statistiques, de franchir la ligne d’arrivée contre tout pronostic. Et il le faut, car nous venons d’apprendre que lors de l’entrée de Gauthier à l’hôpital, les risques de décès étaient de 49% dans son cas. Une chance sur deux. Encore moins qu’à la roulette russe. Il s’en est fallu de (très) peu, et on s’en rend bien compte. Alors on continue le combat, déterminés comme jamais, bien décidés à profiter de cette chance, celle de pouvoir lutter pied à pied, vivant.

Et la nouvelle tombe, foudroyante, époustouflante. Le frère de Gauthier est compatible à 100% et peut donc être donneur. Et sans aucune hésitation, celui-ci accepte, sauvant la vie de son frère. Que dire à quelqu’un qui sauve la vie de votre mari ? Quels mots pour cette seconde chance, cette seconde vie ?

Le traitement par chimiothérapie de Gauthier s’est passé aussi bien que possible. Les allers-retours entre l’hôpital et notre appartement ont été éreintants, mais ont également permis la plus belle des rencontres : celle de Gauthier et son fils. Leur amour réciproque, le lien qui se tisse entre eux répare la déchirure des jours volés par la maladie.

Gauthier encaisse le traitement, et reprend doucement des forces.

On en oublierait presque qu’il nous reste une étape à franchir, décisive. Source d’angoisse autant que de joie, la greffe aura de lourdes conséquences sur cette routine apaisée qui s’est installée dans notre foyer : suite au transfert de moelle osseuse, c’est quarante jours d’isolement total qui nous attendent. Marceau et moi ne verrons plus Gauthier. Même lui parler à travers une vitre nous sera interdit, pour cause de COVID 19.

En ce 30 octobre, Gauthier serre fort Marceau sur son cœur et lui dit au revoir. Je le conduis à l’hôpital et je pleure durant tout le trajet. Il va tellement me manquer, je voudrais tant que l’on puisse enfin être tous les trois. Normalement, tranquillement, vivre les montagnes russes de notre nouveau statut de parent ensemble.

Comment trouver encore l’énergie, le courage, quand on a tout donné ? Comment trouver un second souffle quand on est à bout ?

En visualisant notre avenir à trois. Nous nous focalisons sur tout le bonheur que nous aurons à être réunis, chacun guéri de cette terrible épreuve.

Alors je respire profondément, Gauthier m’embrasse avec un tendre sourire, et on se quitte devant l’entrée de l’hôpital. Dans ma tête, le compteur s’enclenche : plus que quarante jours.

Le 6 novembre, Gauthier reçoit sa greffe de moelle osseuse. Il ne reste plus qu’à attendre espérer, patienter. Attendre les premiers résultats, espérer qu’il n’y ait pas de rejet, regarder les heures qui passent. On s’appelle mille fois par jour, Marceau éclate de rire à chaque fois qu’il voit son papa en vidéo, on parle de tout et de riens, de tous ces petits riens qui feront notre bonheur dès que Gauthier sera à la maison.

Et parce que la patience n’est pas mon fort, je me lance à corps perdu dans le travail. La seule façon pour moi de traverser ce désert est d’occuper mon esprit et mes mains, pour ne pas penser à mon cœur qui s’affole. Et le petit sourire en coin de Marceau me répète que ça en vaut la peine, que c’est la dernière étape avant notre vie à trois.

Quarante jours dans une vie, c’est si peu. Quarante jours quand on se bat pour sauver la sienne, c’est si long. Mais heure après heure, nuit après nuit, l’échéance se rapproche. Et surtout, chaque jour passé nous éloigne du rejet de greffe possible. Chaque matin est une victoire sur la maladie, un pas en avant vers le reste de nos vies.

Nous étions préparés à cette dernière étape, cette ultime séparation. Cela nous a permis de la vivre plus sereinement, de traverser la douleur sans perdre pied, même si de temps en temps, on a tous les deux craqué. Gauthier court vers la ligne d’arrivée, et rien ne peut plus l’arrêter. Il sait qu’au bout du chemin, c’est notre vie à trois qui l’attend. Alors il serre les dents, et il encaisse. Car au-delà de la procédure médicale, c’est littéralement son ADN qui est modifié. Son groupe sanguin également. L’impact de cette greffe sur son corps dépasse l’entendement, modifie en profondeur la structure même de ses cellules.

Et puis un jour de décembre, les médecins nous confirment notre plus bel espoir : Gauthier peut rentrer. Il est là, à la maison.  Tremblants, épuisés, victorieux, on se regarde tous les trois. On rit et on pleure, on parle de Noël, qu’on fêtera tous les trois, on ne réalise pas encore ce que l’on vient de traverser. On respire plus librement : il n’y a plus à décompter les jours, plus d’échéance, on est ensemble tous les trois pour les cent ans à venir.

Et chaque matin ressemble à celui de Noël.

Juillet 2020 – Les bureaux d’Orta

Il est 7 heures du matin, et la sonnerie de mon portable me tire d’un profond sommeil.

« Marion, les bureaux d’Orta ont été cambriolés cette nuit, peux-tu y venir en urgence ? »

Mon cœur rate un battement, je suis tout à coup bien réveillée, et je me lève d’un bond.

Gauthier, rentré à la maison entre deux chimiothérapies, se tourne vers moi.

– Orta a été cambriolé, je dois y aller !

Je ne réalise pas encore tout à fait. Gauthier me regarde et fond en larmes. Non pas pour Orta, mais pour moi. Cela lui semble tellement injuste : après tout ce par quoi nous passons, la leucémie, notre famille toute neuve dont nous n’avons pas encore vraiment profité, nous voilà cambriolés ? Vraiment ? Je vois dans ses yeux la peur de me voir craquer.

La seule chose qui me traverse l’esprit en voyant nos bureaux dévastés, en constatant la disparition de tout notre matériel, c’est un éclat de rire.

Il y a a tant d’ironie dans ce cambriolage. Alors que Gauthier et moi traversons la période la plus dure de nos vies réunies, le sort décide de s’acharner. Fallait-il vraiment que ça arrive maintenant ?

Je regarde l’étendue des dégâts, les câbles arrachés, les tiroirs renversés. Ce ne sont que des dégâts matériels. Je peux réparer tout ça. Ce n’est qu’une suite de processus logistiques et administratifs sur lesquels j’ai un contrôle total. Contrairement à la leucémie. Je me sens dans mon élément.

En fin de journée, je quitte le bureau plus tôt. Je ne me sens plus en sécurité, je sursaute au moindre bruit. Je sais que cela passera avec le temps, mais pour l’instant, je me hâte vers l’appartement.

J’y retrouve mon havre de paix, ma famille. Gauthier y reprend des forces également, entre deux traitements.

Et trois jours plus tard, la parenthèse se referme et Gauthier retourne à l’hôpital pour une nouvelle chimiothérapie. Je m’assomme de travail pour oublier son départ, le soir venu je m’écroule dans notre lit. Marceau, âgé d’à peine un mois, dort tranquillement à mes côtés

Il fait nuit noire lorsque je me réveille. Je me lève, j’allume la lumière de la salle de bains, qui est accolée à ma chambre. Et je vois une guêpe se balader tranquillement. Elle est bientôt rejointe par une deuxième, une troisième, et je les vois toutes émerger de l’aération de la salle de bains. En voyant les suivantes arriver, je sors de la salle de bain en claquant la porte derrière moi. Je suis perdue, je ne sais pas quoi faire, on est au milieu de la nuit et mon tout petit bébé dort profondément à côté de moi. Je suis épuisée, à bout, je ne réfléchis plus clairement.

Je calfeutre la porte qui me sépare de la salle de bain avec des essuies, je bouche le moindre interstice, enfermant les guêpes dans la salle de bain. Et puis je m’allonge en regardant fixement cette porte, attentive au moindre bourdonnement, terrifiée par le plus petit frôlement sur ma peau. Je monte la garde.

Je finis par sombrer dans un sommeil agité. Au réveil, je décide d’aller voir ce qu’il en est. J’ouvre avec mille précautions la porte. Je n’entends rien. Je vois alors un nombre impressionnant de guêpes mortes sur le sol. Je les compte, il y en a trente-huit.

Lorsque les pompiers arrivent en urgence, je fonds en larmes.

Je suis soulagée, et en même temps tellement épuisée. Je ne comprends pas. Avec la leucémie de Gauthier, le cambriolage, on a rempli notre quota d’angoisse, non ? On devrait être tranquille ?

Et puis quelques jours plus tard, je me rends compte que dorénavant, avec Gauthier, nous pouvons tout traverser ensemble. Que nous avons en nous une force et une détermination démultipliées par la présence de l’autre. Que ces épreuves nous ont forgé dans un métal qu’il sera impossible de briser. Je reprends confiance en notre avenir.

Tout ira bien.

Je vous donne rendez-vous le week-end prochain pour découvrir l’épisode 11. ♡


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4 réflexions au sujet de « EPISODE 10 : La tête sous l’eau et le cœur triomphant. »

  1. ❤❤❤❤
    Votre texte fait relativisé sur tout ce qu’on peut endurer dans la vie et ce que l’on peut en retenir et sortir plus fort des ses moments douloureux, difficiles … encore merci ! 🙏

  2. Des textes et une histoire plus qu’incroyable, du courage et de la force infini félicitations pour votre joli parcours non sans problème mais un parcours magnifique quand même ! J’adore vous lire c’est un réel plaisir, merci de votre partage ❤️

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